Dumitru Mosor ou lʼArtiste entre la séduction de lʼart laïque et la tentation du sacré

Dumitru_MosorPersonne taciturne et apparemment désintéressée de lʼffervescence des milieux artistiques, également indifférent aux éloges de la critique et du public, artiste peintre doué dʼune force dʼexpression remarquable dont il a la claire conscience, Dumitru Mosor (né en 1961) vit à Târgu-Neamţ. Cʼest une petite ville moldave qui jouit de nos jours encore dʼun triple prestige: historique (dû au château-fort medieval homonyme,), religieux (tout près se trove un ensemble monastique qui remonte au XV-e siècle) et littéraire (dû à la vie et à lʼoeuvre de Ion Creangă). Le trajet de ses études est sans défaut: bachelier du Lycée dʼArt Nicolae Tonitză de Bucarest, „apprenti” à lʼ école de peinture murale et de restauration des monuments du patrimoine de Bucarest (1986-1995), titulaire de lʼattestation et de lʼautorisation équivalentes délivrées par la Patriarchie Romaine. Lʼan 2000, Dumitru Mosor obtient son diplôme dʼétudes supérieures à lʼUniversité des Beaux-Arts de Iassy (section peinture murale) et devient membre de lʼUnion des Artistes de Roumanie –Arts plastiques .


En tant que maître de la peinture murale, Dumitru Mosor remporte des succès notables: restauration de la Cathédrale Saint-Joseph de Bucarest, peinture murale intérieure (fresque) dans les églises de rite orthodoxe ou catholiques de Roumanie et de France: Brebu (Prahova)-restauration, Pipirig (Neamţ) –fresque, Iassy – revêtement en mosaïque de la muraille extérieure de la Cathédrale Métropolitaine, Varatec (Neamţ) – fresque, Timişeşti (Neamţ) – fresque, Mărăşeşti (Vrancea) –fresque, Humuleşti (Neamţ)-peinture acrylique. Lʼartiste est aussi le créateur de plusieurs compositions monumentales dʼinspiration biblique, pour lesquelles il utilise la technique de la mosaïque, répandues dans les sites culturelles les plus diverses. Pour ce qui est de lʼart si spécial exigé par lʼicône orthodoxe, Dumitru Mosor excelle dans la peinture sur bois des iconostases quʼon peut voir dans plusieurs églises de Roumanie, de lʼAllemagne, des Etats-Unis. Depuis 1985 lʼartiste expose constamment dans les galeries de Bucarest, Iassy, Timişoara, Craiova, Piatra-Neamţ, Roth (Allemagne), Padoue (Italie), Strasbourg, Paris, Barbizon (France), Zottengem (Belgique). En 2003 il remporte le Prix de peinture de la Biennale Lascăr Vorel. Ses toiles dʼinspiration laïque ou religieuse se trouvent dans de nombreuses collections privées un peu partout en Europe, au Canada, aux Etats-Unis.

La peinture à lʼhuile semble toutefois être le domaine dʼélection de lʼartiste. Lʼamour de la perspective, lʼangle de vue panoramique, lʼencadrament généreux, la pluralité des plans menant à lʼéloignement relatif des objets dans la perception visuelle, la grandeur de certaines images – ce sont les marques constantes dʼun style qui se ressent de lʼexperience „muraliste”. Dumitru Mosor est donc lʼartiste peintre dont les vues dʼune ampleur toujours surprenante, saturées dʼimages de la „natura naturata” (le ciel, la terre, lʼeau, la forêt) témoignent dʼun lyrisme vibrant, parfois romantique, malgré lʼapparence objective de prime abord. Lʼabsence de lʼêtre humain dans ces paysages semble due au refus de lʼartiste dʼaccepter le signifié de „natura artifex” y attaché. Les empreintes de lʼaction humaine (une maison, la tour-clocher dʼune église, les ruines dʼun château-fort) sont abordées dʼune manière métaphysique, en tant que principe et pur produit dʼun état dʼâme affectif ou religieux. Il y a toutefois dans les toiles à lʼhuile de Dumitru Mosor un autre grand thème, mythique de souche, celui du labyrinthe, une métaphore obsédante, éternelle, de lʼesprit humain. En fin de compte, le labyrinthe est aussi bien lʼexpression ultime de lʼintelligence (lʼaptitude de se dévorer soi-même, le penchant à lʼautodestruction) que lʼéloge du chaos, des aléas, du dehors monstrueux, de la malignité viscérale. Cʼest bien cette double approche qui enflamma les esprits artistiques de tous les temps, car le mythe du labyrinthe engendra bien dʼautres, non moins fascinants: celui de Dédale, celui dʼIcare, le mythe des origines et celui de lʼéternel retour. Celui qui regarde dʼun oeil exercé les toiles de Dumitru Mosor nʼen peut pas ignorer le message également cérébral et viscéral, qui ramasse et exporte alternativement des gerbes dʼintelligence, des feux dʼironie ou des foudres de colère (ces dernières souvent sans objet, mais tout à fait authentiques!).

De temps à lʼautre, lʼartiste défie quand même le piège du labyrinthe soit par la couleur, soit par la forme, à la recherche de nouvelles formules. Dès que la couleur et la forme se marient, il en résulte un syntagme plastique inédit, „le labyrinthe-cléf”: obscurité et lumière, mistère et clarté, avers et revers de la même médaille. Après avoir échappé à son labyrinthe, le peintre peut se permettre dʼagir à son gré, il agrée aussi bien les solutions plastiques faciles ou difficiles, lʼaternance du figuratif / non figuratif, comme dans un jeu de patience, le tout étant subordonné aux rigueurs dʼune conscience artistique exemplaire. Ses toiles deviennent insolites, ambiguës et contradictoires. Un Arlequin a lʼair dʼune Madone (attitude, innocence, suavité, maternité). Lʼaccord chromatique de ses Fleurs tend à la monochromie; ses gravures ont des accents expressionnistes dramatiques, sous lʼenvahissement du noir; souvent ces pièces graphiques laissent sortir des effets musicaux, grâce au rythme des contours parfaitement découpés. Les toiles dʼexpression figurative ne sont moins ambiguës. Un Ange ressemble à Icare, mais Lucifer nʼest pas loin; les bras de lʼange sont en train de devenir ailes, au-dessus de la tête il y a un arc en ogive qui peut aussi bien être une auréole noire. Les maisons se serrent les unes contre les autres, prises par un frisson cosmique. Les Meules de foin rappellent les mamelons de Gaia, les maisons entourées de palissades et de dépendances paysannes savamment distribuées –un possible rite de passage initiatique. à Venise cʼest lʼeau salvatrice qui supplée un ciel inexistant.

La peinture géométrique de Dumitru Mosor porte vers Kazimir Malevitch, mais les bannières dʼéglise ortodoxe de Horia Bernea lui sont aussi familières. LʼHomme géométrique est issu dʼune combinaison de figures parfaites (triangle, rhombe, carré, rectangle), le tout sur une épine vert-émeraude –dure, phosphorescente, mathématique. Une grande réussite –Lʼarbre rêveur qui porte les suggestions du drame, de la destinée et de la victoire du cerveau humain.

Dans lʼespace des arts plastiques roumains du moment, Dumitru Mosor est, à nʼen point douter, une valeur certe. Il ne reste que le temps, le talent, lʼeffort et la chance décident de lʼamplitude maximale de son renom dʼartiste.

Lucian Strochi

Version française par prof. Dana Anca Strochi